«Les institutions, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux doivent prendre la mesure de la transformation numérique et agir en conséquence», a déclaré mercredi dernier la ministre du travail, Myriam El Khomri, lors de la remise du rapport sur «l'emploi et le travail à l'heure du numérique». Commandé il y a un an et réalisé par le Conseil national du numérique (CNNum), le document présente 20 recommandations, assez générales, destinées à alimenter les projets de loi de Myriam El Khomri sur le travail et d'Emmanuel Macron sur les «nouvelles opportunités économiques».
Fruit de 50 auditions de sociologues, syndicats, économistes, entreprises et collectivités, la réflexion porte principalement sur les métiers du futur, la place du travail et du salariat et l'encadrement de l'économie collaborative. Parmi les pistes proposées, celle de l'évaluation du bien fondé d'un revenu universel, où chaque citoyen percevrait une somme minimale lui permettant de vivre décemment. «Le CNNum pense qu'il est absolument nécessaire de se poser la question aujourd'hui pour y répondre demain», explique le rapport, qui propose la réalisation d'une étude de faisabilité de la mesure et recommande de s'appuyer sur les expérimentations déjà en cours. Selon Europe 1, ce revenu pourrait être compris, en France, entre 600 et 800 euros par mois. Un montant similaire à ce qui est étudié en Finlande.
L'idée a le mérite de trouver des partisans de différents bords politiques. A gauche, on vante une mesure de solidarité qui permettrait une meilleure émancipation des individus. A droite, on y voit surtout le moyen de faire des économies dans le maquis des allocations existantes. Et tous s'accordent sur le fait que la mesure permettrait à la fois de lutter plus efficacement contre la pauvreté et de simplifier l'empilement des prestations sociales. Sans compter qu'à l'heure de l'"uberisation" de l'économie, elle serait un moyen d'assurer un revenu de subsistance à tous les actifs, quel que soit leur statut sur le marché du travail. "Au XXIe siècle, on ne peut pas rester coincés avec un système de protection sociale basé sur l'état du capitalisme en 1945", plaide auprès de Marianne la députée PS et ex-ministre Delphine Batho, qui vient de déposer un amendement à la loi sur le numérique pour demander un rapport le sujet au gouvernement. "On a empilé des dispositifs d'une complexité extrême qui n'ont plus de sens", pointe-t-elle.
Alors, ce revenu de base sera-t-il la bonne idée pour tous en vue de 2017 ? Pas si vite. Comme l'admet Delphine Batho, "c'est une idée simple dont la mise en pratique est compliquée". Très compliquée même, car en réalité il existe presque autant de modalités possibles pour le mettre en place qu'il compte de partisans ! Sur son site web, le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) recense ainsi pas moins de huit schémas de financement envisageables. Et les points à trancher sont légion : quel doit être le montant du revenu ? Doit-il remplacer toutes les prestations sociales actuelles, y compris les pensions de retraite et les allocations chômage ? Comment réformer la fiscalité pour le financer ?
Marc de Basquiat, docteur en économie et président de l'Association pour l'instauration d'un revenu d'existence (AIRE), a simulé la création du dispositif. Lui préconise un revenu mensuel de 470 euros par adulte — soit un peu moins que l'actuel revenu de solidarité active (RSA) pour une personne seule — qui serait financé à terme par une large refonte de la fiscalité et des prestations sociales. En revanche, pas question dans ce schéma de toucher aux aides au logement (APL), ni aux retraites et aux allocations chômage, qui s'y ajouteraient donc le cas échéant. Les mineurs toucheraient quant à eux un revenu moindre. Au final, Marc de Basquiat chiffre le coût de sa mesure à environ 325 milliards d'euros. "Pour donner un ordre de grandeur, cela correspond à peu près au total des retraites — 300 milliards d'euros — et de l'assurance chômage — 30 milliards".
Sauf que la version qui fait le plus parler d'elle est encore plus "généreuse"... Pour l'économiste Jacques Bichot, spécialiste de la protection sociale, un revenu de base digne de ce nom se situerait plutôt aux alentours de 1.000 euros. "Sinon, on en perdrait le véritable sens". Or, si l'on décidait de verser cette somme chaque mois aux 50 millions d'adultes que compte le pays, il en coûterait au bas mot 600 milliards d'euros par an à l'Etat. Ce qui nécessiterait d'y consacrer tout l'argent consacré aujourd'hui à notre protection sociale ciblée— y compris les assurances vieillesse, maladie et chômage —, dont le montant s'élevait à 579 milliards d'euros en 2014. "Le revenu universel est une idée généreuse mais comme toujours, le diable est dans les détails", souligne Jacques Bichot, qui se montre sceptique quant à la faisabilité de la chose : "Cette idée est un poil à gratter qui nous pousse à réfléchir à notre modèle de protection sociale. Mais en France, où nous avons mis 15 ans à réformer les retraites, nous sommes incapables de faire des réformes d'une telle ampleur."
Le chemin n'est donc pas pavé de roses. Et le fameux revenu de base finlandais annoncé pour 2017 n'est à ce stade qu'une expérimentation qu'il est donc difficile de prendre pour modèle. L'ampleur de la refonte de l'impôt et de la protection sociale que supposerait sa généralisation y est encore sur la table des experts, chargés de rendre leurs propositions au gouvernement cette année. Une seule certitude : si celui-ci, de centre-droit, envisage cette réforme, ce n'est pas par philanthropisme... Mais plutôt pour réduire le coût des prestations sociales, alors que le pays est plongé dans la récession depuis trois ans.
Même chez ceux qui se sont emparés du sujet, la prudence domine. "Je suis parfaitement conscient de la difficulté de la mise en place d'une allocation universelle, compte tenu du maquis social actuel", nous concède l'ancien secrétaire d'Etat Frédéric Lefebvre, député Les Républicains des Français de l'étranger, qui s'est exprimé publiquement le 1er janvier en faveur de la mesure. Loin d'arriver avec un plan clé en main, lui milite surtout pour… en parler. Après, il laisse à l'Etat le soin d'effectuer une étude de faisabilité : "Seuls les services de Bercy peuvent produire une évaluation crédible qui nous permettra d'avoir tous les éléments en main".
"Il faut changer les mentalités", s'exclame pour sa part le sénateur écologiste Jean Desessart, qui a obtenu de son parti qu'il inscrive le revenu universel à son programme. "Notre forme de solidarité doit évoluer, plaide-t-il. Notre société a produit suffisamment de richesses pour que chacun puisse bénéficier d'un minimum vital sans nécessairement avoir un travail." Mais l'élu en convient, "la société n'est majoritairement pas prête à entendre ce discours. Au contraire, on veut faire travailler les gens plus, sans qu'ils gagnent plus d'ailleurs !" Les vieux slogans, comme les vieux schémas, ont la vie dure...
Affaire à suivre
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